EN RÉSIDENCE DU 26 juillet au 4 septembre 2022

MARIA EZCURRA

L’oiseau migrateur.

Elle vient d’Argentine comme la colombe de Morena. À l’âge de 5 ans, elle émigre au Mexique avec sa famille qui fuit la dictature militaire. Là où vit le caracara du nord, l’oiseau emblématique de son pays d’adoption, elle y demeure jusqu’en 2010, avant de s’envoler pour Montréal avec mari et enfants faire un doctorat à l’Université Concordia. Malgré le froid, elle fait comme la mésange à tête noire, le jaseur des cèdres ou la gélinotte huppée, elle passe les longs hivers québécois sans migrer dans le sud. Elle s’est habituée au climat. À l’automne, elle lève les yeux vers le ciel avec un brin de nostalgie en regardant les colibris à gorge rubis, les viréos, les chevaliers grivelés ou les tournepierres à collier en partance vers les États-Unis, le Mexique ou jusqu’en Amérique du Sud. Elle a le projet de répertorier tous ces oiseaux migrateurs néotropicaux et d’identifier l’état actuel de leur survivance. Avec précision et finesse, elle en a déjà dessiné une centaine dans leur taille originale sur des cartons d’emballage récupérés, un autre clin d’oeil au voyagement et à la distance. Elle profite de son séjour à Frelighsburg pour reproduire les oiseaux de la région qui manquaient à sa collection : le canard branchu, la paruline masquée, l’urubu à tête rouge et le grand héron bleu. Elle observe les liens entre le changement climatique et la migration, l’interdépendance entre la nature et l’activité humaine. Si, malgré les changements climatiques, la moitié de la population des oiseaux conserve le même calendrier migratoire, l’autre moitié se déplace désormais un peu plus tôt, un peu plus tard ou plus du tout, constate l’artiste.

Tout le travail de Maria Ezcurra tourne autour des divers enjeux liés à la migration; la précarité et la résilience des populations migrantes, celles des oiseaux et celle des êtres humains. Les vieilles chaussures, symbole de la marche, du déplacement et de la mémoire, elle les déconstruit, les découpe pour en faire des oiseaux en vol. Cette idée toute simple mais remplie de poésie, rappelle, de façon ludique, qu’aujourd’hui, 65 millions de personnes dans le monde sont sur les routes de l’exil. Cette envolée de « zaparalos », comme elle les appelle, avant d’être suspendue au plafond de la grange d’Adélard, fut exposée devant l’entrée du bureau des passeports à Montréal. Dans ce contexte, ces silhouettes, à la fois élégantes et baroques, prenaient tout leur sens.

Les oiseaux-livres, découpés à la scie, qui ornent les poutres de la grange, sont aussi images de voyage. Les mots s’envolent, l’histoire se raconte de par-delà des continents, traversant vents et tempêtes pour émerveiller un gamin dépaysé sur un chemin transitoire. Les vêtements, provenant de friperies, sont également un matériel de prédilection pour Maria Ezcurra. Les chandails en lainage à manches longues sont transformés en sculptures architecturales, sortes d’oiseaux ou autres créatures volantes.  Retenus au sol par un fil attaché à une roche, ils rappellent la difficulté de celles et ceux qui doivent se détacher de leur famille, quitter leur maison, leur village, leur pays pour des destinations inconnues et aléatoires. Derrière sa rigoureuse démarche à la fois écologique, scientifique et sociale, Maria Ezcurra s’amuse. Son travail est aussi aérien, créatif et joyeux. Elle nous fait voyager à travers un imaginaire singulier, fluide et fantaisiste qui n’est pas sans rappeler sa culture latine. Elle aborde la vie comme elle le fait dans son travail : avec humilité et reconnaissance. Sa tranquillité lucide, sa curiosité vive, sa finesse d’esprit et sa joie naturelle se reflètent dans ses œuvres. Elles sont cohérentes et en harmonie avec sa nature profonde.

Durant son séjour à Frelighsburg, elle fait la rencontre d’une ornithologue amatrice et passionnée qui vit dans le logement adjacent à la grange d’Adélard. Lorsqu’un chant d’oiseau vient interrompe leurs échanges, Catherine Wright tend l’oreille : « c’est le troglodyte familier » dit-elle, avec certitude... Maria fait également la connaissance de son voisin de palier, Axel Ariel Garcia, un travailleur guatémaltèque employé sur une ferme florale à Sutton. Il est venu spontanément l’aider à préparer les structures pour les « papalotes », les cerfs-volants qui ont servi à l’activité du dimanche créatif. Le jeune Dylan, qui vit au village, après son expérience de cerf-volant, est revenu plusieurs fois à la grange revoir les oiseaux et les observer de plus près. L’artiste mexicain Alberto Castro Lenero, ami de Maria Ezcurra de passage à Montréal, qui a aussi donné une médiation de peinture, en a profité pour passer du temps à l’atelier de Michel Dupont, situé en face d’Adélard. C’est ce qu’on appelle du bon voisinage ! Rapprocher les artistes et les citoyens, la mission d’Adélard, s’est faite ici tout naturellement. Elle s’est même rendue jusqu’au Chemin des Érables, à Pigeon Hill, où Pascale Hébert a pu échanger avec l’artiste dans sa langue maternelle, riche d’expressions subtiles et colorées. Les bernaches, en chemin vers le sud, ont entendu entre les branches, des bribes de conversation : « Ha sido una gran alegria estar aqui en Frelighsburg con su gente y sus aves. Una hermosa experiencia en mi corazon ! »  disait Maria Ezcurra à propos de son séjour chez Adélard.

Avant de partir, Frelighsburg étant un village frontalier avec le Vermont, elle tenait à faire voler un cerf-volant au-dessus du territoire américain. Un geste politique et poétique lancé comme un petit clin d’oeil à la liberté et aux oiseaux qui n’ont pas de frontières.

Isabelle Hébert

Crédit photo : Laurence Grandbois-Bernard.