EN RÉSIDENCE DU 25 juin AU 4 août 2024

Claudie Gagnon

Le temps qui passe.

Après plus de 35 ans de carrière, l’artiste Claudie Gagnon occupe une fort place honorable et bien méritée dans le petit et grand monde de l’art contemporain. Contre vents et marées et sans compromis, cette autodidacte, artiste jusqu’au bout des doigts, s’est totalement dévouée à son art. Avec beaucoup de rigueur et d’audace, elle créée des œuvres décors, des ambiances, des scènes, des tableaux vivants. La nature morte, cette représentation artistique officiellement reconnue au XVIIe siècle avec l'émergence de la peinture hollandaise, elle en fait une relecture, transformant les codes du genre à sa manière. Elle connait tous ces peintres qui ont marqué ou intégré dans leur art cette forme d’expression; de Caravage, l'un des plus grands représentant de l’art baroque italien, en passant par Francisco de Zurbarán, peintre espagnol du XVIIe siècle et maître absolu du clair-obscur, Willem Kalf, peintre néerlandais de la même époque, célèbre pour ses natures mortes luxuriantes et opulentes, Jean Siméon Chardin, le grand maître français et par l’américain Wayne Thiebaud, artiste contemporain qui met en scène desserts et sucreries. De toutes ces influences, elle en tire des « citations » prises dans l’un ou l’autre de leurs tableaux. Des clins d’oeil à l’histoire de l’art derrière une proposition singulière, l’expression de sa propre vision du monde.

À travers ses œuvres ludiques, poétiques et dramatiques, elle parle du cycle de la vie, des saisons, du temps qui passe, de la fragilité des choses, de la mort, du destin inexorable pour tout ce qui vivant. À l’étage de la grange, une grande table, recouverte d’une nappe noire, trône au milieu de la pièce. Un miroir, placé au fond, multiplie l’effet. Chaque jour, l’œuvre éphémère évolue. Ce que l’artiste recueille autour du village, objets, aliments et végétaux, s’ajoutent à l’œuvre au fur et à mesure, prennent place sur la grande tablée de plus en plus garnie, dense, étreignante, intrigante. Dans la pénombre, des rais de lumière se reflètent sur les pots et les vases en verres, ces objets du quotidien qui traversent le temps, mais qui, en une fraction de seconde, pourraient tomber et se fracasser en mille fragments. Pour elle, la solidité et la précarité, la durée et la fugacité, la beauté et la médiocrité, sont des oppositions indissociables.

Disposés avec minutie, artichauts, pommes de terre et rabioles, livres anciens, biscuits et beignes, couteaux, fleurs, cigares, montres, coquillages, cadenas, insectes, toutes ces choses familières, à la fois disparates et assorties, s’accumulent et se côtoient dans une étonnante harmonie. Les miroirs à main, empilés les uns sur les autres, rappellent notre vanité et notre ego. Les pièces de monnaie et les bijoux témoignent de l’exubérance, de la richesse et des biens accumulés en vain. L’os, au centre de la table, évoque la décadence et la barbarie. Des plateaux tournent au ralenti. On entend, en sourdine, le tic-tac d’une horloge ancienne ; autant d’observations et d’émotions contradictoires qui surgissent lorsqu’on circule autour de la table, à la recherche du temps perdu.

À cette grande réception où sont conviées étrangeté et fantaisie, on entend les commentaires des visiteurs : « on se croirait au Moyen-Âge, dans un conte de fée, au cœur d’une légende diabolique, dans un lieu magique hors du temps ». Une enfant, fascinée, fait référence à l’univers de Harry Potter.  Un visiteur, visiblement ferré en art de la nature morte, reconnaît les références. Un autre a l’impression de voir surgir des profondeurs les vestiges du Titanic. L’artiste est ravie, elle qui aime se jouer des apparences et laisser libre cours aux interprétations. Elle maitrise l‘art de la métamorphose, proposant tout en douceur et en humour sa perception de la vie et de la mort aussi…

Après sa résidence chez Adélard, toutes ses boîtes remplies de trésors partiront pour Marseille. La table sera remontée cet automne à La friche de la Belle de mai, pour la biennale Chronique internationale. C’est dans le Parc national des Calanques ou au cœur de la plus vieille ville de France qu’elle fera alors ses cueillettes.

Isabelle Hébert

Crédit photo : Éliane Excoffier