EN RÉSIDENCE DU 19 juin AU 31 juillet 2024

Marcela Armas

L’intimité.

Marcela Armas vit dans un petit village situé au Mexique à quelques kilomètres de San Miguel de Allende. Avec un groupe d’artistes et citoyens, ils ont créé un environnement unique où tous explorent et pratiquent différentes formes d’autosuffisance. C’est plus qu’un lieu d’habitation. Pour elle, c’est une façon de vivre en cohérence avec sa pratique artistique. À peine débarquée à Dunham pour sa résidence chez Adélard, souriante, vive et curieuse, Marcela se ravit de tout; le paysage, l’accueil des gens, l’esprit communautaire, la grange où elle loge pour les deux premières semaines. Avec cette chaleur estivale, elle relève aussitôt le bas de son pantalon et patauge, entre les nénuphars et les grenouilles, dans le petit étang au pied de la porte de sa nouvelle demeure rustique et tout à fait charmante. L’endroit l’inspire. Elle fourmille d’idées, d’énergie et d’enthousiasme, pressée d’amorcer ses recherches et investigations pour son projet déjà intitulé Mirrors of the Holobiont. Dès le lendemain de son arrivée, elle part à l’aventure, cette grande aventure humaine qu’elle priorise avant tout.

Dans son désir absolu de mieux comprendre le monde et les liens que tissent les sociétés humaines entre elles, tout est pris en compte; la matière, l’énergie, la science, la philosophie, la technologie, la spiritualité, la poésie, les mathématiques, le symbolisme, l’alchimie, l’astronomie, la mémoire, le corps, le cœur et l’esprit. La base du travail de cette artiste inclassable repose sur les données qu’elle recueille, sur toutes ces références qui sont reliées les unes aux autres, qui s’influencent et redéfinissent la vie sur terre, au fil de son évolution. Pour avancer dans son projet de résidence, qui s’exprimera par le biais de vidéos, d’installations ou de performances, elle navigue dans des zones encore indéfinies. Animée par son désir de trouver un sens et des liens, des relations possibles entre la santé humaine et la santé du sol, elle suit son intuition.

C’est dans cet esprit d’enquête qu’elle part à la rencontre de cinq résidents de la région; ils sont pomiculteur, herboriste-ébéniste, artiste vannière, agronome, acériculteur. Ce sont tous des gens qui ont un lien particulier avec le sol, la terre sous leurs pieds. Elle établit un premier contact, discute de façon informelle avec chacun d’entre eux, les questionnant sur leur rapport avec le vivant. Dans un deuxième temps, cet échange, ce dialogue qui se poursuit, est capté soit par Alex Chabot ou Martin Morissette, deux vidéastes qui habitent dans la région. Ces vidéos, témoins de confidences et de réflexions, serviront de matière première pour alimenter son projet. Elle utilise également la chromatographie pour l’analyse de la vitalité des sols. Elle procède à la cueillette de deux échantillons, à deux endroits différents, sur la terre où vivent ses participants. Elle se sert également de l’iridologie pour observer l’iris humain. Derrière son appareil photo, elle tente de percer cette membrane circulaire et contractile pour trouver l’intimité, l’âme derrière la pupille des cinq personnes choisies. Avec toutes ses informations, elle nourrit sa réflexion et amorce son travail de création, un travail qui s’étale souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est la démarche d’une artiste exploratrice, d’une chercheuse. Elle prend des chemins de traverse pour aller ailleurs, découvrir une autre façon d’aborder et de comprendre le monde.

Le lien humain et l’intimité sont au cœur de son approche. Avec les cinq personnes avec lesquelles elle s’est investie durant son passage, une connexion particulière demeure, comme avec le vidéaste Martin Morissette, qu’elle a rencontré ici à Frelighsburg et qui l’a suivi pour filmer une partie de ses recherches. Leurs coups de cœur réciproques et leur amitié nouvelle se prolongeront dans d’autres projets et collaborations à venir. Un long fil invisible de 4,489 kilomètres relie désormais notre petit coin de pays de Brome-Missisquoi au village de Las Canas dans l’État de Guanajuato. Et c’est exactement ce que l’artiste priorise; les sentiers sinueux, les détours, les carrefours, les longues routes qui mènent à la mémoire.

Isabelle Hébert